27/02/2008

Périphéries

Mi-décembre dernier, le journaliste Edouard Zambeaux consacrait son excellente chronique, Périphéries, sur France Inter, au quartier de la Bourgogne.
L'émission n'est plus disponible à l'écoute sur le site d'Inter, mais M. Zambeaux m'a gracieusement envoyé une copie sur CD, que je peux mettre en ligne, "service public oblige".

Cette chronique, tendre et plutôt optimiste sur le quartier, vous pouvez l'écouter ici:


podcast


Périphéries est une chronique dominicale (13h20 - 13h30). Edouard Zambeaux y laisse s'exprimer les habitants des "quartiers populaires" en France, qui racontent leur histoire et leur quotidien. En effaçant peu à peu les clichés, et en offrant à ces périphéries urbaines un peu plus d'espace médiatique, il leur permet d'exister.

20/02/2008

La triple vocation de Michel Delberghe

Rencontre avec Michel Delberghe, prêtre, aumônier en prison, et fondateur de Réagir, une association d’aide aux personnes toxicomanes. Prêtre militant, humble et iconoclaste, il ne s’est pas contenté d’offrir sa vie à l’Eglise. Cette «petite main» de Dieu s’occupe au quotidien de tous les prisonniers, qu’ils soient détenus dans une cellule ou enfermés dans leurs addictions.


Un Yin Yang, au feutre noir. Encadré et posé sur une étagère du bureau de Michel Delberghe, dans les locaux de l’association Réagir. Au-dessus du symbole taoïste, «Personne n’est tout blanc, personne n’est tout noir». Puis une dédicace, «aux jeunes de la ZUP». Dans la partie noire du symbole, le Yang, une signature. João. Ou plutôt une épitaphe.

João, Abdel, et les autres

João, c’était un jeune du quartier, mort de l’héroïne. «Un jour, il venu nous voir pour crier son mal-être. Ce cri de souffrance a été pour moi fondateur. Je l’ai vécu comme un coup de poing à l’estomac.» Michel Delberghe, fraîchement entré dans les ordres, arrive à La Bourgogne en 1975. Il y découvre le désespoir d’un quartier marginalisé, rongé par le chômage, la délinquance et la toxicomanie.
Le cri de João, c’était en 1986. Trois ans et des subventions plus tard naît l’association Réagir. «Au début, les jeunes voulaient appeler l’association «Au pied du mur». Mais on s’est dit que «Réagir», c’était plus optimiste.»
Chemise bleue sous une veste en cuir, Michel Delberghe a le sourire franc. Derrière des verres un peu fumés, il a des yeux qui scrutent votre âme, et un regard bon, mais ferme. A l’écouter, il n’a jamais agi, mais s’est contenté de réagir. Pourtant, l’éphéméride, posé à côté d’une boîte de Havanes sur son bureau, témoigne de l’emploi du temps surchargé de ce prêtre hors normes. «Je n’ai jamais demandé à travailler avec des toxicomanes. Ce sont eux qui m’ont appelé. Je n’ai jamais demandé à travailler avec les détenus, ce sont eux qui m’ont sollicité.»
Quand des jeunes du quartier ont été incarcérés, certains ont été abandonnés dans une «pauvreté affective dingue». «On m’écrivait pour me demander du linge, ou juste pour avoir quelqu’un à qui écrire.» Il tente alors de visiter régulièrement ceux qui en faisaient la demande. Mais le temps d’attente est long. Il parvient à obtenir le statut de visiteur, et, de fil en aiguille, devient aumônier en prison.
Aujourd’hui, il dit l’office le dimanche dans les maisons d’arrêt de Loos et de Sequedin, et va visiter les détenus tous les après-midi de la semaine. Le matin, c’est pour Réagir. Et le soir, pour le reste. Michel Delberghe fait partie du conseil d’administration de plusieurs associations du quartier, il est membre d’un groupe de réflexion interreligieux, d’un «atelier Islam», du CCFD… Et puis sa famille. Chose rare, ce prêtre a des enfants. Comme Abdel, un jeune détenu, qui a décrété qu’il serait son fils. «Il y a un détenu que j’ai «adopté» - enfin, il m’appelle «papa». J’ai beaucoup d’enfants vous savez, j’entretiens des relations très fortes avec certains. Mon travail est difficile, mais tellement riche en contacts humains…»

(Michel) sur le chemin de Damas

«Dieu, c’est comme pour les toxicomanes ou pour les détenus. Je n’ai jamais demandé à travailler pour Dieu, c’est lui qui m’a appelé à lui.» Elevé dans une famille croyante et pratiquante, Michel Delberghe est «très marqué» par un prêtre de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Dès l’adolescence, il s’engage dans des activités catholiques et militantes. A 18 ans, il entame des études de comptabilité et travaille à l’usine. Il part alors faire son service militaire en Allemagne, où il fait le «choix difficile» de devenir prêtre : «Dieu m’a appelé à lui comme Paul sur le chemin de Damas. Pourtant, tous ces machins miraculeux, ça m’a jamais plu. Mais ça s’est passé un peu de la même façon. Il y a eu pour moi une prière forte, en Allemagne, quand j’étais seul, de garde. J’ai compris à ce moment-là que je devais faire un choix. J’ai ressenti en moi cet appel puissant, pour donner ma vie à l’Eglise. Je n’ai jamais regretté ma décision.»
Mais son objectif n’est pas de «faire chrétiens» ceux qui viennent lui demander de l’aide : «Je n’essaye pas d’évangéliser les gens en souffrance. Mais si la question arrive, on en parle. Les détenus, comme les toxicomanes, peuvent se poser des questions sur le sens de leur vie, sur la foi.»
Avant toute chose, Michel Delberghe veut «donner à manger» à ceux qui souffrent. C’est le sens du repas communautaire, organisé tous les jeudis midi par l’association Réagir, qui réunit éducateurs, bénévoles du quartier et toxicomanes : «Autour d’une table, chacun peut être une ressource pour l’autre. C’est le “j’avais faim, et tu m’as donné à manger”».

Travail, footing, prière

Mais, au bout d’un moment, comment ne pas faire siennes toutes ces souffrances ? Comment ne pas baisser les bras ? «J’ai trois secrets. D’abord, le travail en équipe. On ne peut pas vivre seul son impuissance devant le mal-être des détenus et des toxicomanes. Ensuite, la prière, qu’elle soit collective ou personnelle. J’essaye d’avoir un temps pour moi le matin et le soir.» Et le troisième ? «Le footing ! Je cours deux fois par semaine, dix kilomètres à chaque fois. C’est un moment de détente et d’adrénaline, qui me permet de mettre les choses au clair. Ca fait partie d’un tout. Quand il y a des overdoses, des suicides en prison, ou des récidives, on le vit comme un échec, on se dit qu’on a pas été à la hauteur. On doit faire le point.»
Faire le point, s’adapter, Michel Delberghe a su le faire avec sagesse : «La toxicomanie a évolué. On n’est plus dans une lutte, on est dans un ‘vivre avec’. A l’association, on distribue des seringues, des préservatifs, de la méthadone… Avant, j’étais contre. Mais j’ai changé. Y a que les cons qui ne changent pas d’avis, n’est-ce pas ? Je me disais : tant qu’on y est, on n’a qu’à donner le produit avec ! Je pensais vraiment que donner de la méthadone, c’était remplacer une drogue par une autre drogue. Mais avec l’expérience, je me suis rendu compte que ces médicaments de substitution permettaient à l’usager d’avoir une famille, un travail… Je préfère un toxicomane vivant qu’un toxicomane mort, et peu importe ce qu’en pense le Pape.»
Il reconnaît que si on ne l’avait pas envoyé dans les banlieues, il ne serait pas le prêtre qu’il est aujourd’hui. Il avoue être serein, mais jamais tranquille. Toujours en effervescence. «Si on n’a pas de projet, on est foutu.» Il veut être quelqu’un «qui bouscule», il se questionne «en permanence» : «Dans l’Evangile, il n’y a pas marqué fin, il y a écrit ‘à suivre’…»
Le Yin et le Yang chinois ne montrent pas, comme l'interprète souvent l’imaginaire manichéen en occident, le bien et le mal. Ce symbole décrit la complémentarité universelle entre les êtres et les choses. Mais tout de même. Grande est la tentation d’inscrire le nom de Michel Delberghe dans la partie blanche du Yin.



Pour contacter l'association Réagir: reagir-tourcoing@nordnet.fr

19/02/2008

Inconscience, désinvolture et irresponsabilité

Dans son livre Les Journalistes et leur Public : le grand malentendu (Vuibert), Jean-Marie Charon, sociologue des médias, rappelle que lors de la crise de l'automne 2005 - les fameuses "émeutes" -, "les journalistes font une fois de plus la démonstration de leur inconscience, de leur désinvolture, et finalement de leur parfaite irresponsabilité".
M. Charon relève aussi "l'exaspération face à l'absence des médias lors d'actions positives dans les quartiers".
Tâchons d'être conscients, rigoureux et responsables.

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21:08 Publié dans Vite fait | Lien permanent | Commentaires (0)

zup(ercherie)

Premiers contacts hier après-midi avec les habitants de la Bourgogne à propos du blog. Je me disais que j'allais trouver facilement quatre ou cinq personnes emballées par le projet. Mais peu d'enthousiastes, beaucoup de méfiance - "Eh, madame, tu fais quoi avec ton appareil photo?"
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J'ai posé mes affichettes ("à vous la parole") un peu partout dans le quartier, dans la pharmacie, les supérettes, la mission locale. J'ai discuté avec des mères, avec des ados, avec des gosses. bc10f70d41f981663967659f12b5515a.jpg Il faisait très beau. En plus, c'est les vacances. Il y a des gens dans les rues, des enfants qui jouent au foot. On va faire les courses, on discute avec l'épicier. Salam Aleikum.


Et puis le traditionnel groupe de jeunes. Cliché. Assis sur un muret. Deuxième cliché. Autour d'eux, une marre de crachats. Troisième cliché. Le pire, c'est que c'est vrai.

Sabri est parmi eux. Il a 20 ans. Ses parents, Tunisiens, sont arrivés en France en 1979. Et son grand père, 10 ans plus tôt. Casquette imitation Louis Vuitton vissée sur le crâne, diamant à l'oreille gauche, il tire, agacé, sur sa clope. Il termine son Bac pro secrétariat au lycée Jeanne d'Arc, à Tourcoing. Pour décrocher son diplôme, il doit trouver un stage d'un mois. "J'envoie plus de 10 CV par jours, et ça fait un mois que je cherche. J'ai reçu zéro réponse."

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Sabri va se rendre samedi matin à la permanence de l'adjoint au maire, à la mairie annexe. Il ne se fait pas beaucoup d'illusions. "Si je trouve pas de stage, c'est à cause de mon origine. Ca se voit sur mon nom. Et aussi à cause de mon adresse". Les autres acquiescent. Ceux-là ne font pas grand chose. "Là, on est en vacances. Alors on s'ennuie". Un autre: "On reste tout l'aprem sur ce muret. J'pense que sans nous, il tiendrait pas debout, le muret!". Ils rigolent.
"De toute façon, ils nous ont tout apporté ici, au quartier, pour pas qu'on en sorte. On a un Aldi, une pharamacie, une Poste, la mission locale. On a même une mairie annexe, pour pas qu'on aille dans le centre de Tourcoing. Faut pas qu'on se mélange, tu comprends". Sourire amer.

Sabri est inscrit dans une école de pharmacie à Versailles. Sans son diplôme de bac pro, il ne peut pas y aller. Pour lui et pour les autres, le schéma est logique et brutal. "Pas de boulot, pas d'argent. Pas d'argent, du traffic". Traffic ça veut dire flics, flics ça veut dire jugement, et jugement ça veut dire prison. Implacable. "Il y avait un jeune ici, il avait un Bac + 4. Il trouvait pas de boulot. Pendant des mois et des mois, il a cherché. Et puis il a craqué. Il a fait un braquage. Maintenant il est en taule."

17:35 Publié dans kroniks | Lien permanent | Commentaires (0)

Edito(rpille)

Quartiers, cités, banlieues, ZUP, ZUS, zones difficiles...Combien d'euphémismes pour les nommer?
Malgré les belles promesses électorales et autres plans "contre la glandouille", matraques et contrôles d'identité continuent d'être les moyens de communication privilégiés entre les pouvoirs publics et ceux qui vivent dans les cités. On karcherise, on verbalise.

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La Bourgogne, au Nord-Est de Tourcoing, est un quartier de plus de 9000 habitants, dévasté par le chômage, et, l'ennui aidant, par la délinquance, l'alcool et la drogue.
Ce blog souhaite représenter, le plus fidèlement possible, sans misérabilisme ni angélisme, le quotidien des habitants du quartier.
Alors Normale Zup, c'est un bébé torpille. Une bouteille à la mer, mais surtout un espace de partage - à l'image de la cité, qui avant tout, est un lieu de vie.

Sécuri(tais-toi)

Un jeune que j'ai rencontré hier m'a demandé, amusé: "Tu te sens en insécurité ici?". Non. "De toute façon, on peut rien faire ici. Regarde: souris, t'es filmée!"

Je ne les avais même pas remarquées. Des dizaines et des dizaines de petites caméras, très sophistiquées, accrochées très haut sur les immeubles.
"On passe à la télé 24 heures sur 24. C'est chiant, on peut même plus faire notre traffic tranquille!"

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12:40 Publié dans Vite fait | Lien permanent | Commentaires (0)