20/02/2008

La triple vocation de Michel Delberghe

Rencontre avec Michel Delberghe, prêtre, aumônier en prison, et fondateur de Réagir, une association d’aide aux personnes toxicomanes. Prêtre militant, humble et iconoclaste, il ne s’est pas contenté d’offrir sa vie à l’Eglise. Cette «petite main» de Dieu s’occupe au quotidien de tous les prisonniers, qu’ils soient détenus dans une cellule ou enfermés dans leurs addictions.


Un Yin Yang, au feutre noir. Encadré et posé sur une étagère du bureau de Michel Delberghe, dans les locaux de l’association Réagir. Au-dessus du symbole taoïste, «Personne n’est tout blanc, personne n’est tout noir». Puis une dédicace, «aux jeunes de la ZUP». Dans la partie noire du symbole, le Yang, une signature. João. Ou plutôt une épitaphe.

João, Abdel, et les autres

João, c’était un jeune du quartier, mort de l’héroïne. «Un jour, il venu nous voir pour crier son mal-être. Ce cri de souffrance a été pour moi fondateur. Je l’ai vécu comme un coup de poing à l’estomac.» Michel Delberghe, fraîchement entré dans les ordres, arrive à La Bourgogne en 1975. Il y découvre le désespoir d’un quartier marginalisé, rongé par le chômage, la délinquance et la toxicomanie.
Le cri de João, c’était en 1986. Trois ans et des subventions plus tard naît l’association Réagir. «Au début, les jeunes voulaient appeler l’association «Au pied du mur». Mais on s’est dit que «Réagir», c’était plus optimiste.»
Chemise bleue sous une veste en cuir, Michel Delberghe a le sourire franc. Derrière des verres un peu fumés, il a des yeux qui scrutent votre âme, et un regard bon, mais ferme. A l’écouter, il n’a jamais agi, mais s’est contenté de réagir. Pourtant, l’éphéméride, posé à côté d’une boîte de Havanes sur son bureau, témoigne de l’emploi du temps surchargé de ce prêtre hors normes. «Je n’ai jamais demandé à travailler avec des toxicomanes. Ce sont eux qui m’ont appelé. Je n’ai jamais demandé à travailler avec les détenus, ce sont eux qui m’ont sollicité.»
Quand des jeunes du quartier ont été incarcérés, certains ont été abandonnés dans une «pauvreté affective dingue». «On m’écrivait pour me demander du linge, ou juste pour avoir quelqu’un à qui écrire.» Il tente alors de visiter régulièrement ceux qui en faisaient la demande. Mais le temps d’attente est long. Il parvient à obtenir le statut de visiteur, et, de fil en aiguille, devient aumônier en prison.
Aujourd’hui, il dit l’office le dimanche dans les maisons d’arrêt de Loos et de Sequedin, et va visiter les détenus tous les après-midi de la semaine. Le matin, c’est pour Réagir. Et le soir, pour le reste. Michel Delberghe fait partie du conseil d’administration de plusieurs associations du quartier, il est membre d’un groupe de réflexion interreligieux, d’un «atelier Islam», du CCFD… Et puis sa famille. Chose rare, ce prêtre a des enfants. Comme Abdel, un jeune détenu, qui a décrété qu’il serait son fils. «Il y a un détenu que j’ai «adopté» - enfin, il m’appelle «papa». J’ai beaucoup d’enfants vous savez, j’entretiens des relations très fortes avec certains. Mon travail est difficile, mais tellement riche en contacts humains…»

(Michel) sur le chemin de Damas

«Dieu, c’est comme pour les toxicomanes ou pour les détenus. Je n’ai jamais demandé à travailler pour Dieu, c’est lui qui m’a appelé à lui.» Elevé dans une famille croyante et pratiquante, Michel Delberghe est «très marqué» par un prêtre de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Dès l’adolescence, il s’engage dans des activités catholiques et militantes. A 18 ans, il entame des études de comptabilité et travaille à l’usine. Il part alors faire son service militaire en Allemagne, où il fait le «choix difficile» de devenir prêtre : «Dieu m’a appelé à lui comme Paul sur le chemin de Damas. Pourtant, tous ces machins miraculeux, ça m’a jamais plu. Mais ça s’est passé un peu de la même façon. Il y a eu pour moi une prière forte, en Allemagne, quand j’étais seul, de garde. J’ai compris à ce moment-là que je devais faire un choix. J’ai ressenti en moi cet appel puissant, pour donner ma vie à l’Eglise. Je n’ai jamais regretté ma décision.»
Mais son objectif n’est pas de «faire chrétiens» ceux qui viennent lui demander de l’aide : «Je n’essaye pas d’évangéliser les gens en souffrance. Mais si la question arrive, on en parle. Les détenus, comme les toxicomanes, peuvent se poser des questions sur le sens de leur vie, sur la foi.»
Avant toute chose, Michel Delberghe veut «donner à manger» à ceux qui souffrent. C’est le sens du repas communautaire, organisé tous les jeudis midi par l’association Réagir, qui réunit éducateurs, bénévoles du quartier et toxicomanes : «Autour d’une table, chacun peut être une ressource pour l’autre. C’est le “j’avais faim, et tu m’as donné à manger”».

Travail, footing, prière

Mais, au bout d’un moment, comment ne pas faire siennes toutes ces souffrances ? Comment ne pas baisser les bras ? «J’ai trois secrets. D’abord, le travail en équipe. On ne peut pas vivre seul son impuissance devant le mal-être des détenus et des toxicomanes. Ensuite, la prière, qu’elle soit collective ou personnelle. J’essaye d’avoir un temps pour moi le matin et le soir.» Et le troisième ? «Le footing ! Je cours deux fois par semaine, dix kilomètres à chaque fois. C’est un moment de détente et d’adrénaline, qui me permet de mettre les choses au clair. Ca fait partie d’un tout. Quand il y a des overdoses, des suicides en prison, ou des récidives, on le vit comme un échec, on se dit qu’on a pas été à la hauteur. On doit faire le point.»
Faire le point, s’adapter, Michel Delberghe a su le faire avec sagesse : «La toxicomanie a évolué. On n’est plus dans une lutte, on est dans un ‘vivre avec’. A l’association, on distribue des seringues, des préservatifs, de la méthadone… Avant, j’étais contre. Mais j’ai changé. Y a que les cons qui ne changent pas d’avis, n’est-ce pas ? Je me disais : tant qu’on y est, on n’a qu’à donner le produit avec ! Je pensais vraiment que donner de la méthadone, c’était remplacer une drogue par une autre drogue. Mais avec l’expérience, je me suis rendu compte que ces médicaments de substitution permettaient à l’usager d’avoir une famille, un travail… Je préfère un toxicomane vivant qu’un toxicomane mort, et peu importe ce qu’en pense le Pape.»
Il reconnaît que si on ne l’avait pas envoyé dans les banlieues, il ne serait pas le prêtre qu’il est aujourd’hui. Il avoue être serein, mais jamais tranquille. Toujours en effervescence. «Si on n’a pas de projet, on est foutu.» Il veut être quelqu’un «qui bouscule», il se questionne «en permanence» : «Dans l’Evangile, il n’y a pas marqué fin, il y a écrit ‘à suivre’…»
Le Yin et le Yang chinois ne montrent pas, comme l'interprète souvent l’imaginaire manichéen en occident, le bien et le mal. Ce symbole décrit la complémentarité universelle entre les êtres et les choses. Mais tout de même. Grande est la tentation d’inscrire le nom de Michel Delberghe dans la partie blanche du Yin.



Pour contacter l'association Réagir: reagir-tourcoing@nordnet.fr